BROUILLON POUR UN DICTIONNAIRE DES AMANTES ET LESBIAN PEOPLES. MATERIAL FOR A DICTIONARY : UNE ŒUVRE EN DEUX LANGUES OU DEUX ŒUVRES DISTINCTES ?

Brouillon pour un dictionnaire des amantes est le titre d’une œuvre écrite à quatre mains par Monique Wittig, écrivaine et militante lesbienne matérialiste, et sa conjointe actrice et cinéaste Sande Zeig. Publiée chez Grasset en 1976, l’œuvre se présente comme un « dictionnaire hétérodoxe: parcellaire, poétique, lesbien, féministe » (Turbiau, 2019, p.1) . Logiquement inséré dans le parcours d’écriture subversive de Wittig, Brouillon pour un dictionnaire des amantes s’inscrit également dans une tradition littéraire de « dictionnaires réinventés ou détournés » (Jacquesson, 2018, p. 58) dont font partie, entre autres, le célèbre Dictionnaire philosophique de Voltaire et le Dictionnaire des idées reçues de Flaubert. Comme le souligne encore Chloé Jacquesson, le Brouillon de Wittig et Zeig partage avec les œuvres de son genre une « tonalité humoristique, un projet critique et une inventivité qui confine à la fantaisie » (2018, p. 59).  Divisé en articles de longueurs variables classés par ordre alphabétique, ce dictionnaire retrace l’histoire et la culture d’un peuple d’amantes, séparé entre « mères » et « amazones ». La définition du terme « amazones », que nous retrouvons dans le dictionnaire, clarifie leur identité et leur histoire, qui seront ensuite reprises tout au long du dictionnaire par d’autres définitions :

AMAZONES

« Au commencement, s’il y a jamais eu un commencement, toutes les amantes s’appelaient des amazones. Et vivant ensemble, s’aimant, se célébrant, jouant, dans ce temps où le travail était encore un jeu, les amantes dans le jardin terrestre se sont appelées des amazones pendant tout l’âge d’or. Puis avec l’établissement des premières cités, un très grand nombre d’amantes rompant l’harmonie originelle se sont appelées des mères. Amazone avait désormais pour elles sens de fille, éternelle enfant, immature, celle-qui-n’assume-pas-son-destin. Les amazones ont été bannies des cités des mères. C’est à ce moment-là qu’elles sont devenues les violentes et qu’elles se sont battues pour défendre l’harmonie. Pour elles le vieux nom d’amazones n’avait pas changé de sens. Il signifiait à présent quelque chose de plus, celles-qui-gardent-l’harmonie. Par la suite il y a eu des amazones à tous les âges, sur tous les continents, îles, banquises. C’est aux amazones de tous les temps que nous devons d’avoir pu entrer dans l’âge de gloire. Bénies soient-elles. »

(Wittig, Zeig 1976, p. 24)

« Au commencement » de l’Histoire, les amantes faisaient donc partie d’un groupe unique, mais un jour une partie d’entre elles décide de se séparer et de rompre l’harmonie qui régnait dans le jardin terrestre. À partir de ce moment-là, deux groupes distincts et adversaires se forment : d’une part les « mères », le groupe à l’origine de la séparation ; de l’autre les « amazones », les plus jeunes, qui deviennent ensuite les plus violentes et celles qui se battent pour reconstruire l’harmonie perdue.

Chaque article du dictionnaire explore les différentes habitudes sociales, politiques, linguistiques, religieuses et érotiques des deux groupes. Comme le raconte Zeig dans un entretien avec Anne Garréta (Garréta, 2011), les deux autrices partent en 1975 pour la Grèce pour écrire un dictionnaire féministe qui avait été commandé à Wittig par la maison d’édition Grasset.

De retour du voyage en Grèce, Zeig commence la traduction anglaise du texte, avec la collaboration de Wittig. Cependant, le travail qui en résulte ne peut pas être défini comme une traduction au sens propre, car le texte anglais diffère beaucoup du texte original. Cette nouvelle collaboration entre les deux autrices est en effet à l’origine d’un texte à part entière, ce qui semble d’ailleurs être suggéré par son titre, qui n’est pas une traduction littérale du français : Lesbian Peoples. Material for a dictionary. La distance entre les deux titres anticipe ainsi la relation entre les deux textes, qui pourrait être représentée, comme le remarque Anderson (1994, p. 99) par un diagramme de Venn, car leur contenu ne se chevauche que partiellement. En outre, il faut considérer que la version française du dictionnaire est, tout comme la version anglaise, déjà une traduction. C’est Wittig même qui accepte cette définition (p. 100), le dictionnaire ayant été écrit en anglais (par Zeig) et en français (par Wittig), et puis retraduit en français (et en anglais).

Le décalage entre les deux « traductions », publiées à trois ans d’écart, est un point crucial à prendre en compte lorsque nous envisageons une analyse des processus de traduction de ce texte. Tout d’abord, si nous abordons la question en adoptant une perspective sémiotique de l’espace[1], nous observons un changement spatial important, l’espace de l’énoncé n’étant pas exploité de la même façon dans les deux textes. En effet, dans la traduction anglaise, les deux autrices ont décidé de ne pas maintenir l’ordre alphabétique des mots français (ce qui, en revanche, est présent dans la traduction italienne par exemple, où chaque entrée présente le mot original français accompagné par sa traduction en italien : ex. « amantes/amanti ») ; les entrées se succèdent plutôt en suivant l’ordre alphabétique des mots en anglais, qui correspond seulement partiellement à celui des mots français. Cela a des implications importantes sur la modalité de lecture, car l’histoire racontée à travers ce moyen inhabituel procédant par à-coups ne suit pas le même ordre dans les deux versions. Certaines habitudes et certains costumes des amantes, qui sont mentionnés brièvement dans certaines entrées et puis repris et approfondis dans les autres, sont découverts par les lectrices à différents moments d’un livre à l’autre. En outre, les différences de traduction d’une entrée à l’autre, les ajouts et les découpages font du texte anglais une véritable œuvre à part entière. Dans une interview avec Anderson (1994, p. 100), Wittig explique qu’au moment de la traduction anglaise, les deux autrices « en avaient marre » [2] de certains mots et décidèrent de renouveler des définitions et d’en ajouter ou de supprimer d’autres. Ce sont donc les autrices mêmes qui légitiment le statut de réécriture de leur traduction, laquelle est une occasion de retravailler ensemble le texte plutôt qu’une simple transposition de l’original dans une autre langue.

Pour mieux expliquer notre propos, nous proposons de confronter quelques entrées de la lettre « A » dans les deux versions. De prime abord, nous remarquons toute suite un écart non négligeable : dans l’édition française, cette première lettre compte 39 entrées, alors que la version anglaise en compte 36. Dans certains cas, cet écart est dû, bien évidemment, à une non-correspondance de la première lettre entre les mots traduits : l’entrée « ailes » par exemple, a son correspondant à la lettre « w » dans la version anglaise, qui est traduit par le singulier « wing », marquant déjà une première différence d’ordre grammatical entre les deux. En outre, il est intéressant de remarquer que la lettre « w » ne figure même pas dans la version française, ce qui, encore une fois, confirme la différente disposition de l’espace de l’énoncé dans les deux versions, ayant des conséquences importantes sur l’ordre matériel du livre. Un autre cas significatif de divergence est représenté par la traduction du mot « amantes », le terme le plus important et le plus employé dans tout le livre (383 occurrences dans la version française). Cependant, en anglais il est rendu de deux façons différentes : dans le titre, « amantes » est remplacé par « lesbian peoples », terme qui sera ensuite repris tout au long du livre, mais pour traduire « les peuples d’amantes », tandis que dans le texte anglais le terme sera toujours traduit par « companion lovers » sauf dans l’entrée qui leur est dédiée, « amantes/companion lovers », où nous nous apercevons d’une exception à cette « règle » :

AMANTES

Les amantes sont celles qui, éprouvant un violent désir les unes pour les autres, vivent/aiment dans des peuples, suivant les vers de Sappho, « en beauté je chanterai mes amantes ». Les peuples d’amantes des amantes rassemblent toute la culture, le passé, les inventions, les chants et les modes de vie.

(Wittig et Zeig, 2011)

COMPANION LOVERS

The companion lovers are those who, violently desiring one another, live/love in peoples, following the verses of Sappho, « in beauty I will sing my companions ». The companion lovers gather from lesbians all the culture, the past, the inventions, the songs and the ways of life. 

(Wittig et Zeig, 1979, p. 35, mes italiques.)

« Amantes » est donc traduit par « companion lovers », mais la formule « les peuples d’amantes des amantes » est ici rendue par « the companion lovers from lesbians ». Là où en français nous trouvons un seul mot se répétant tout au long du texte, dans la version anglaise deux traductions différentes sont proposées comme synonymes : « companion lovers » et « lesbians ». En effet, dans la définition de « lesbian », nous lisons : « A lesbian is a companion lover, or a companion lover is a lesbian » (Wittig et Zeig 1979, p. 97). Dans la version française, le terme « lesbienne » est également présent, mais il n’est pas utilisé dans le même sens que « amantes », ce qui est d’ailleurs démontré par le fait que nous trouvons 24 occurrences de ce mot dans le Brouillon et 89 occurrences pour « lesbian » dans la version anglaise.

À cet égard, Anderson (1994) affirme que le choix du titre anglais, qui explicite l’identité sexuelle des protagonistes[3] Lesbian peoples »), a pu participer à la faible diffusion de ce texte, qui était automatiquement perçu comme un livre d’une lesbienne pour lesbiennes, sort auquel Wittig voulait absolument échapper (Wittig, 2011). Comme il n’existe pas de traduction littérale pour « amantes » en anglais, Anderson propose de le traduire par le néologisme « lovhers », inventé par Barbara Godard dans sa traduction des Amantes de Nicole Brossard (1987). La tendance à être plus explicite semble d’ailleurs être une caractéristique de la traduction anglaise : l’entrée « machine », par exemple, présente dans le Brouillon, partage une définition avec le terme « masturbation » dans la version anglaise, là où en français l’association était seulement implicite et ouverte à interprétation[4].

Pour revenir à la traduction du terme « amantes », le choix de le rendre par « companion lovers », éloigne dans l’espace le mot de sa « racine » naturelle, au niveau figuratif mais aussi morphosyntaxique, c’est-à-dire l’amour. Si les autrices avaient choisi le néologisme « lovhers », le mot suivrait l’entrée « love », comme dans le cas d’« amantes » et « amour », qui se trouvent dans la même section et qui font d’ailleurs écho à un autre mot qui y est lié à la fin du dictionnaire, « vivre ». Ce lien entre le début et la fin du dictionnaire crée une logique de circularité, l’amour étant la raison principale de la vie des amantes, vivre et aimer sont considérés comme des synonymes[5] :

VIVRE
Pour les amantes vivre et aimer sont deux concepts absolument inséparables. Tout le long de ce brouillon nous avons souvent utilisé le mot vivre pour parler d’une ou de plusieurs amantes. Il faut le lire rétrospectivement vivre/aimer. Par exemple, « les amantes de l’ile d’Alor vivent/aiment dans la montagne au sud de l’ile ».

(Wittig et Zeig, 2011)

Les autrices nous invitent donc à relire rétrospectivement le Brouillon, à le recommencer à l’envers pour en dévoiler la nature circulaire, qui doit être découverte précisément à la fin du livre, une fois tout lu. Le Brouillon commence par aimer et se clôt par vivre, qui sont finalement la même chose. Cet effet se perd naturellement dans la version anglaise, car le mot « vivre », aussi bien que « vie », ne sont pas traduits en anglais et les entrées correspondantes sont supprimées.

Si, dans les cas que nous venons d’analyser, la version française se révèle plus complète par rapport à sa traduction anglaise, où suppressions et remplacements altèrent le sens véhiculé dans le Brouillon, dans d’autres cas (que nous ne pourrons pas approfondir ici) c’est à la version anglaise d’être plus enrichie par rapport à la version française. C’est le cas des définitions données pour les termes « cyprine » (sécrétion produite par les amantes lorsqu’elles font l’amour) et pour « clitoris », qui sont présents uniquement dans la version anglaise, alors que les termes apparaissent souvent dans les deux textes. De même pour « la nuit de la poudre d’escampette/the night of the vanishing powder », moment historique fondamental dans la diégèse du livre à l’origine de la séparation entre mères et amazones. La plus grande récurrence de cette expression dans la version anglaise[6] renforce la métaphore sous-jacente à tout le livre, où la séparation des amantes correspondrait à l’éclatement du Mouvement de libération des femmes (MLF) et à la conséquente séparation entre lesbiennes matérialistes et féministes hétérosexuelles[7]. Interpréter cette métaphore supplémentaire se révèle essentiel pour comprendre pleinement le sens du livre, où littérature et politique sont étroitement liées et doivent être lues et interprétées ensemble. Cet ajout d’une définition présente uniquement dans la version anglaise participe donc au sens plus profond du livre. Par conséquent, la version « originale » du texte devrait selon nous être considérée comme l’ensemble composé par les deux versions, anglaise et française, qui ne sont pas seulement différentes entre elles, mais aussi complémentaires. En effet, déjà dans cette première section contenant les entrées sous la lettre « A », l’écart entre les deux versions est très important. Nous comptons des différences de traduction, ainsi que des nouvelles définitions qui apparaissent et d’autres qui disparaissent. Cela implique des différences au niveau de l’organisation de l’énoncé, et également de la diégèse : la structure géographique du monde des amantes ne correspond pas exactement dans les deux versions, les amantes ne sont pas les mêmes, ni ne le sont leurs costumes, leurs habitudes et leur histoire.

Le décalage entre les deux éditions nous pousse enfin à réfléchir à la notion de lacune, très chère aux autrices. Si nous considérons la relation entre les deux textes, leurs différences semblent participer à l’exploitation de la lacune comme litote, que les autrices explorent pour « dire le moins pour dire le plus » (Wittig et Zeig, 2011)[8]. L’absence de certains concepts et réalités dans le Brouillon seraient alors à lire comme des lacunes qui sont à combler en lisant Lesbian Peoples et vice-versa. Les deux versions se différencieraient donc seulement pour se compléter.

De plus, la notion de lacune est étroitement liée à la notion de brouillon, qui met en avant le travail de l’écrivain.e, son « chantier littéraire » (Wittig, 2010), c’est-à-dire « le processus de fabrication qui à partir du matériau brut des mots transforme le corps solide, opaque, du langage en œuvre conçue […] comme une machine de guerre » (ibid., quatrième de couverture). Le dictionnaire de Wittig et Zeig « non seulement […] ne cache pas ses lacunes (il les exhibe), mais il ne dissimule pas même la nature lacunaire de sa diction, de toute diction et nomenclature » (Garréta, 2011). Si le dictionnaire traditionnel fixe le sens, le brouillon s’inscrit dans une « contradiction et une contre-tradition, critique et satirique […], qui retourne la disposition et l’opération du dictionnaire contre [lui-même] » (ibid.). Le dictionnaire de Wittig et Zeig pourrait donc être considéré comme « un supplément aux dictionnaires, aux récollections qui ont opéré l’élision historique, linguistique et politique des amantes » (ibid.). Dans le cadre de notre réflexion sur la traduction anglaise du Brouillon, l’instabilité volontaire du sens est d’autant plus importante pour comprendre l’œuvre car le sens est en perpétuel mouvement également via la traduction.

Pour toutes ces raisons, lire les deux textes ensemble nous semble crucial pour comprendre l’œuvre et pour pouvoir concevoir une traduction qui soit vraiment complète[9] et qui puisse rendre compte de toute la complexité que les deux autrices ont voulu transmettre.

Pour citer cette notice:

Fabrizzi, Anna : « Brouillon pour un dictionnaire des amantes et Lesbian peoples. Material for a dictionary : une œuvre en deux langues ou deux œuvres distinctes ? ». Dictionnaire du genre en traduction / Dictionary of Gender in Translation / Diccionario del género en traducción. ISSN: 2967-3623. Mis en ligne le 16 mars 2023: https://worldgender.cnrs.fr/notices/brouillon-pour-un-dictionnaire-des-amantes-et-lesbian-peoples-material-for-a-dictionary-une-oeuvre-en-deux-langues-ou-deux-oeuvres-distinctes/

Références

Anderson, Kristine J. (1994), « Lesbianizing English : Wittig and Zeig Translate Utopia », L’Esprit Créateur, vol. 34, n° 4, « L’Imaginaire utopique » / « The Utopian Imaginary », p. 90-102.

Brossard, Nicole (1987), Lovhers, trad. Barbara Godard, Montréal, Guernica Editions.

Écarnot, Catherine (2003), L’Écriture de Monique Wittig, à la couleur de Sappho, Paris, l’Harmattan.

Garréta, Anna F. (2011), Préface à Monique Wittig et Sande Zeig, Brouillon pour un dictionnaire des amantes, Paris, Grasset.

Jacquesson, Chloé (2018) « Le Brouillon pour un dictionnaire des amantes (1976) de Monique Wittig et Sande Zeig : une entreprise littéraire du savoir féministe ? », in Margaret Atak, Alison S. Fell, Diana Holmes et Imogen Long (dir.), French Feminisms 1975 and After. New Readings, New Texts, Berne, Peter Lang, p. 53-70.

Turbiau, Aurore (2019), « Fiction militante, politique fictionnelle : une analyse du Brouillon pour un dictionnaire des amantes », Littératures engagées, publié le 11/10/2019 : https://engagees.hypotheses.org/739, consulté le 01/04/2022.

Wittig, Monique (2001), La Pensée straight, Paris, Éditions Amsterdam, 2001.

Wittig, Monique (2010), Le Chantier littéraire, Benoît Auclerc, Yannick Chevalier, Audrey Lasserre et Christine Planté (éds.), Lyon, Éditions iXe et Presses Universitaires de Lyon.

Wittig, Monique; Zeig, Sande (1979), Lesbian Peoples : Material for a Dictionary, New York, Avon Books.

Wittig, Monique; Zeig, Sande (2011), Brouillon pour un dictionnaire des amantes, Paris, Grasset (version numérique).


[1] Pour un approfondissement sur la sémiotique de l’espace, science qui étudie la vie des signes au sein de la vie sociale, voir les travaux de Pierluigi Basso, à savoir « Semiotica dello spazio e semantica storica del giardino: esplorazione di metodo e appunti per una ricerca », Visible, vol. 2, 2006, p. 161-205.

[2]  « In fact, during our interview Wittig said that by the time she and Zeig started the English translation, they were tired of some of the old words and wanted to add new ones, which they proceed ».

[3]  On pourrait également réfléchir à la valeur du terme « amantes », qui, ainsi que « lesbian lover/people », connote déjà une identité féminine et lesbienne : dans sa signification plus répandue « une amante » est une femme attachée à un homme, mais au pluriel on utilise plutôt le terme au masculin « amants », pour désigner un couple – hétérosexuel – s’aimant d’amour réciproque. L’usage du féminin pluriel serait donc employé ici pour expliciter l’orientation sexuelle des protagonistes. Mais cela n’explique pas pourquoi les autrices n’ont pas choisi directement le terme « lesbienne » dans la version française et il faut également rappeler qu’être lesbienne, pour Monique Wittig, n’est pas une simple orientation sexuelle, mais une identité avec une signification politique précise. En définitive le texte anglais reste pour nous plus explicite par rapport au texte français. Pour approfondir la portée politique du terme « lesbienne », consultez ses essais, en particulier Monique Wittig, La Pensée straight, Paris, Éditions Amsterdam, 2001.

[4] Dans la version française, la définition du terme « machine » : « il existe une machine organique appelée ‘la tentation’. Quand elle se met en marche dans le corps aucune amante ne peut y rester indifférente. ‘Son cœur battait fort, elle reconnaissait les signes annonciateurs, la merveilleuse machine était en marche qu’elle appelait avec un effroi sacré jadis ‘la tentation’, et à laquelle elle ne sut jamais résister’ (Christine Rochefort, Encore heureux qu’on va vers l’été, Gaule, âge de la gloire) » (Wittig, 2011) est traduite littéralement en anglais mais on la retrouve sous le terme « masturbation » : « There exists an organic machine called ‘temptation.’ When it begins to work in the body not one companion lover can remain indifferent. ‘Her heart beat fast, she recognized the forerunning signs, the wonderful machine that she once called with a sacred fright ‘temptation’ and which she never knew how to resist, was working’ (Christiane Rochefort, At Least We’re Going Toward Summer, Gaul, Glorious.) » (Wittig et Zeig 1979, p. 105).

[5] Cette duplicité vivre/aimer est d’ailleurs anticipée dans l’entrée qu’on vient de voir dédiée aux amantes : les amantes « vivent/aiment », « live/love ».

[6] Le jour de la poudre d’escampette est mentionné à plusieurs reprises dans les deux versions, mais dans la version anglaise il est évoqué dans trois définitions supplémentaires, qui existent dans la version française mais dont le contenu est très différent : il s’agit de la définition de deux toponymes, « Germany » et « Gaul », et enfin de la définition de « lesbian », qui met l’accent sur l’importance de cet évènement dans l’identité même des amantes.

[7] Pour approfondir cette question consultez Aurore Turbiau, « Fiction militante, politique fictionnelle : une analyse du Brouillon pour un dictionnaire des amantes », Littératures engagées : https://engagees.hypotheses.org/739, 2003, consulté le 01/04/2022 et Catherine Écarnot, « Brouillon pour un dictionnaire des amantes » dans L’écriture de Monique Wittig, à la couleur de Sappho, Paris, l’Harmattan, 2003.

[8] Cf. la définition de « dictionnaire », p. 72 : « la disposition du dictionnaire permet de faire disparaitre les éléments qui ont distordu notre histoire pendant les périodes sombres à partir de l’âge de fer jusqu’à l’âge de la gloire. C’est ce qu’on pourrait appeler une disposition lacunaire. Elle permet également d’utiliser les lacunes à la façon d’une litote dans une phrase où il s’agit de dire le moins pour dire le plus. L’assemblage des mots, ce qui a dicté leur choix, les fictions des fables sont constitutifs de ces lacunes et sont de ce fait opératoires quant au réel. Le dictionnaire en général tente d’évacuer procédé de métaphore, mise en scène des inconscients. Mais ce n’est encore qu’un brouillon » (mes italiques).

[9] Toutes les traductions de l’œuvre dans d’autres langues prennent la version française comme texte source.


ÉTIQUETTES

amantes, amour, amour lesbien, dictionnaire, féminisme matérialiste, lesbianisme, traduction collective, traduction entre amantes, traduction féministe