TOURISME PROCRÉATIF

Tourisme procréatif[1]

1. Contexte : cadre juridique

Le tourisme procréatif (Lemouland, 2001) est un phénomène en constante hausse depuis l’émergence de nouvelles formes de parentalité, les progrès scientifiques et l’assouplissement des lois qui régissent la procréation médicalement assistée (PMA) ou assistance médicale à la procréation (AMP). En effet, de plus en plus de couples désireux de devenir parents contournent les techniques de procréation illicites en France, et se déplacent à l’étranger dans les pays où la jurisprudence est plus souple en la matière, ce qui est plus largement connu sous le nom de « law shopping » (Bosse-Platière, 2006, p. 88). Ces voyages à visée procréative concernent deux techniques de procréation assistée : la gestation pour autrui (GPA) ou le recours aux services d’une mère porteuse, et jusqu’à il y a peu l’insémination avec donneur anonyme (IAD), réservée aux femmes célibataires ou en couple. En France, ce dernier processus était autorisé seulement pour les couples hétérosexuels stériles, ou dont l’un des membres était atteint d’une maladie grave et transmissible. À la suite d’une révision législative de la loi de bioéthique, le 29 juin 2021 la nouvelle loi permettant l’ouverture de la PMA à toutes les femmes a été définitivement adoptée par le Parlement (Rozée & de La Rochebrochard, 2021), non sans controverses au sein même des partis politiques et des associations diverses.

De son côté, légalement interdite depuis le 31 mai 1991 par la Cour de cassation, et par la loi du 29 juillet 1994[2], la GPA fait polémique depuis de nombreuses années. Cela est dû au fait qu’une femme se prête à porter un enfant pour le compte d’une tierce personne, et à le remettre in fine aux parents d’intention (également dits parents sociaux, d’accueil ou commanditaires). Dans la pratique, la femme qui se prête à conduire la gestation peut fournir ses propres ovocytes —mère porteuse— ou bien se faire inséminer avec les gamètes d’une autre femme —mère de substitution— (Nyssens, 2005), ce qui distingue nommément la maternité pour autrui ou procréation pour autrui de la gestation pour autrui respectivement, même si dans les faits l’une et l’autre se confondent. Cela mène à une dissociation de la maternité qui se divise dès lors en maternité gestationnelle —gestatrice ou mère porteuse—, maternité génétique — donneuse d’ovule ou mère génitrice—et maternité d’intention —réceptrice ou mère d’intention[3]—.  Le contexte est variable et les enjeux importants —éthiques, culturels, médicaux, sociaux, politiques— puisqu’en droit français seule la femme qui accouche et qui porte l’enfant est la mère du point de vue juridique (Rodríguez Pedreira, 2017).

Proscrite sous toutes ses formes —lucrative et altruiste[4]— en France et dans plusieurs pays d’Europe occidentale—l’Espagne, la Suisse, l’Allemagne ou l’Italie— se pose le problème juridique de la reconnaissance de l’enfant lorsque l’AMP est menée dans un pays où la pratique est autorisée. Jusqu’à il y a peu, la France refusait de reconnaitre légalement ce lien de filiation aux parents sociaux, mais la dernière résolution de la Cour de cassation (arrêt du 18 décembre 2019) autorise la régularisation envers le premier parent —père social biologique ou mère qui accouche à la suite d’une insémination avec donneur anonyme—tandis que le second le devient par adoption. Ainsi, le lien de filiation peut être juridiquement établi indépendamment du mode de conception de l’enfant (Vedel, 2018, p. 1039), ce qui, croit-on, n’est pas à même de faire obstacle au tourisme procréatif, puisque le projet parental peut débuter à l’étranger — par la conception et, s’il y a lieu, l’accouchement— et s’achever en France —par l’établissement du lien de filiation—. Au demeurant, ainsi que le manifestent Rozée & de La Rochebrochard (2021), du fait que la nouvelle loi de bioéthique laisse de côté les couples homosexuels et les transgenres, et que les listes d’attentes pour la prise en charge médicale sont longues, il n’est pas clair que la pratique de ladite loi puisse contribuer à réduire massivement le tourisme de procréation : « Tous ces éléments semblent indiquer que l’AMP transnationale va perdurer en France, même après la mise en application de la nouvelle loi de bioéthique » (Rozée & de La Rochebrochard, 2021, § 18).

2. Tourisme procréatif : définition et dénomination

Au fur et à mesure des avancées technologiques, scientifiques, sociétales et médicales surgit un phénomène que Lemouland (2001, p. 24) baptise tourisme procréatif, en référence aux déplacements transfrontaliers des patients qui se soumettent aux techniques de procréation assistée proscrites dans leurs pays d’origine. Brunetti-Pons (2016, p. 250) définit la notion comme « le cas dans lequel des ressortissants français font un court séjour à l’étranger dans le but d’obtenir la naissance ou la conception d’un enfant par des pratiques qui sont interdites ou plus strictement conditionnées en France ».

Parallèlement au développement du fait, émergent différentes expressions servant à le désigner, les unes plus explicites que les autres, selon le type de représentation que les sujets ont du phénomène, très souvent à partir de leurs connaissances, expériences ou courants de pensée (cf. § 3). Pour n’en citer que quelques-unes, on retrouve les noms de procreation shopping (Vedel, 2018), délocalisation procréative (Brunet, 2012 citée dans Mollard, 2017), law shopping (Bosse-Platière, 2006), baby business (« negocio de los bebés »), baby market (« mercado de los bebés ») (Paricard, 2015).

L’espagnol utilise des expressions proches pour atténuer le fait par des appellatifs positifs, comme turismo procreativo, turismo de la fertilidad, ou des technicismes, tels que atención reproductiva transfronteriza[5]. Or d’autres termes émergent pour montrer le phénomène dans toute son ampleur, sans détours ni artifices, comme industria de la fertilidad (López Guzmán & Aparisi Miralles, 2012).

La littérature scientifique anglophone utilise également des dénominations diverses —proches de celles qui sont adoptées dans les autres langues— pour traiter la problématique, comme fertility tourism, procreative tourism, reproductive tourism, ou transnational fertility tourism. Mais on retrouve parfois aussi des périphrases plus longues, plus techniques, censées être mieux adaptées à la réalité, dans la mesure où elles évacuent le mot « tourisme », trop associé à la controverse qu’il suscite : circumvention routes of reproduction (« voies de contournement de la reproduction ») (Bergmann, 2011), reproductive exile (« exil reproductif ») (Matorras, 2005 cité dans Bergmann, 2011, p. 282, n.4), ou encore crossborder flow of patients (« flux de patients transfrontaliers ») (Soini et al., 2006 cités ibidem).

Ce phénomène de reformulation n’est d’ailleurs étranger ni au français ni à l’espagnol au vu des dénominations que les experts tentent de faire circuler depuis quelques années déjà, telles que atención reproductiva transfronteriza (Cross border reproductive care (CBRC)), mentionnée précédemment, atención sanitaria transfronteriza, ou encore pour le français soins de reproduction transfrontaliers.

3. Enjeux sémantiques et pragmatiques autour de la notion  

Le tourisme procréatif prend de l’ampleur depuis les vingt dernières années au vu des différentes législations qui encadrent la PMA dans l’Union européenne et hors de ses frontières. Les pays les plus permissifs en la matière sont de toute évidence ceux qui accueillent le plus de patients ou touristes désirant un enfant, parmi lesquels se trouve l’Espagne pour des raisons diverses[6]. Les déplacements encouragés par ces avancées sociétales et médicales ont tôt fait d’être désignés sous le nom de tourisme procréatif, calque de l’anglais procreative tourism. Il devient vite un terme partagé et réutilisé par les médias parce qu’il « passe » bien auprès du public pour les connotations positives qu’il véhicule : un élément de loisir, de dépaysement ou une rupture avec le travail en ce qui concerne la notion de tourisme ; ‘relatif à la procréation’, soit ‘donner la vie’ (procréer) pour ce qui est de l’adjectif. Par la nature des soins que le phénomène implique, on revendique son appartenance au tourisme de santé et, en particulier, au tourisme médical (Álvarez Díaz, 2012), en estimant que les patients peuvent même profiter de leur séjour médical pour faire du tourisme, malgré les contraintes et les désagréments liés aux traitements.

Pourtant, l’expression est concurrencée plus tard par celle de tourisme reproductif (ou tourisme de reproduction), par laquelle les institutions cherchent à décrire plus fidèlement la réalité. La substitution d’un adjectif à l’autre n’est pas anodine du fait que l’on évacue les connotations humaines et affectives associées au terme « procréatif » —la conception naturelle liée à la sexualité, le côté émotionnel de la grossesse, entre autres— au profit d’une conception médicalisée où prime la valeur technique. Une tendance à la polarisation se dessine alors nettement. Les uns —les anti- ou détracteurs s’opposant à la délocalisation procréative et à tout ce qu’elle implique— et les autres —les pro- ou partisans d’une réalité qu’ils revendiquent comme partie intégrante d’un tourisme médical. C’est sur cette toile de fond que la formulation réussit à s’imposer autant chez ceux qui se déclarent en faveur de ces pratiques que chez ceux qui s’y opposent, même si dans ce cas il s’agit plus d’en critiquer l’usage euphémique par lequel on montre une réalité adoucie.

Au fur et à mesure que les débats se poursuivent, les formulations se succèdent dans l’arène médiatique, celles-ci relevant de la volonté du locuteur soit d’adoucir la réalité soit de la durcir. Elles font partie des stratégies discursives que les acteurs concernés utilisent autant pour défendre ou revendiquer des droits en matière de filiation (les partisans) que pour les blâmer (les opposants). Dans ce jeu de discours et contre-discours, le mot « tourisme » gêne puisqu’on estime qu’il ne s’adapte pas aux pratiques d’AMP transnationales, en ce que celles-ci comportent des incommodités et des contraintes, et qu’elles concernent souvent des partenaires en souffrance, alors que la notion de tourisme véhicule des images positives. Ainsi, dans les dernières années émerge le terme clinique soins de reproduction transfrontaliers (voir n. 5), qui chercherait à évoquer chez le grand public des résonances plus larges. En fait, on est en droit de supposer que, dans une telle interprétation, les techniques médicales et l’attention humaine personnalisée des cliniques spécialisées se rejoignent dans un but thérapeutique. Pourtant, sous une apparente aseptisation de la formulation, c’est un réel service marchand de convenance qui est offert au patient-client, dans l’intention de satisfaire un désir d’enfant (Grand, 2018, p. 16), laissant ainsi de côté la fonction strictement thérapeutique de l’assistance médicale. L’expression masquerait donc une réalité complexe qui ne fait pas consensus. Pour les opposants au phénomène, un marché global de l’enfant-produit mis au service d’une clientèle internationale[7], tel serait le fait que sous-tendent les formulations précitées, alors que pour les partisans la désignation soins de reproduction transfrontaliers répondrait à la volonté de reproduire ou décrire fidèlement une réalité objective.

Au-delà de cette controverse terminologique, une chose est certaine : de prime abord conçues pour pallier à « l’infertilité médicale », les techniques d’AMP ont bel et bien fait une place grandissante à « l’infertilité sociale »[8] (Mollard, 2017, p. 10), faisant du tourisme transfrontalier un phénomène en pleine expansion, et partant faisant du terme servant à le désigner un véritable enjeu sémantique.

Pour citer cette notice:

Rodríguez Pedreira, Nuria: “Tourisme procréatif”. Dictionnaire du genre en traduction / Dictionary of Gender in Translation / Diccionario del género en traducción. ISSN: 2967-3623. Mis en ligne le 21 Novembre 2022: https://worldgender.cnrs.fr/notices/tourisme-procreatif/

Références

Alvarez Díaz, Jorge Alberto (2012), “Una mirada crítica al turismo reproductivo”, Salud Problema, nº 11, p. 36-54.

Bergmann, Sven (2011), “Fertility Tourism: Circumventive Routes That Enable Access to Reproductive Technologies and Substances”, Signs: Journal of Women in Culture and Society, vol. 36, nº2 p. 280-288. https://doi.org/10.1086/655978.

Bosse-Platière, Hubert (2006), « Le tourisme procréatif : L’enfant hors la loi française », Informations sociales, nº 131, p. 88-99. https://doi.org/10.3917/inso.131.0088

Brunetti-Pons, Clotilde (2016), « Le ‘tourisme procréatif’, porte ouverte au trafic d’enfants et à l’exploitation de la misère ? », Les Cahiers de la Justice, nº 2, p. 249-264. https://doi.org/10.3917/cdlj.1602.0249.

Gil Pérez, Carmen, González Cruz, Ana, González Jiménez, Andrea, González Martín, Tamara, González Mendo, Pablo, Guerra Blanco, Daniel Francisco, . . . Moreno Salas, Francisco José (2017), Determinación de la filiación en las técnicas de reproducción humana asistida: Especial referencia a la gestación por sustitución transfronteriza. Récupéré le 12 novembre 2021 de http://hdl.handle.net/10366/136975

Grand, Camille (2018), L’ouverture de la procréation médicalement assistée aux couples de femmes et aux femmes célibataires, Droit, dumas-02061603.

Lemouland, Jean-Jacques (2001), « Le tourisme procréatif », Actualité du droit international privé de la famille, Les Petites affiches, nº 62, p. 24.

López Guzmán, José & Aparisi Miralles, Ángela (2012), “Aproximación a la problemática ética y jurídica de la maternidad subrogada”, Cuadernos de bioética, vol. 23, nº 78, p. 253-268.

Mollard, Christel (2017), « Les techniques biomédicales en matière d’assistance médicale à la procréation conçues dans l’objectif de pallier l’infertilité médicale peuvent-elles évoluer de manière à être utilisées pour remédier à l’infertilité sociale ? », Médecine & Droit, nº 142, p. 1-10. https://doi.org/10.1016/j.meddro.2016.04.007

Nyssens, Clotilde (2005), Proposition de loi interdisant la maternité de substitution et le recours aux mères porteuses. Récupéré le 11 janvier 2022 de http://www.senate.be.

Paricard, Sophie (2015), « Voyager pour avoir un enfant », in Lycette Condé (éd.), Variations juridiques sur le thème du voyage, Presses de l’Université Toulouse 1 Capitole, p. 191-217. https://doi.org/10.4000/books.putc.867.

Rodríguez Pedreira, Nuria (2017), « De la « mère porteuse » à la « GPA » : vers un contournement du tabou », Acta Universitatis Lodziensis. Folia Litteraria Romanica, nº 12, p. 31-46. https://doi.org/10.18778/1505-9065.12.04

Rozée, Virginie & de La Rochebrochard, Élise (2021), « L’aide à la procréation en dehors du cadre légal et médical français : quels enjeux aujourd’hui ? », Population & Sociétés, nº 593, p. 1-4. https://doi.org/10.3917/popsoc.593.0001

Thévoz, Jean-Marie (1990), Entre nos mains l’embryon : recherche bioéthique, Genève, Labor & Fides.

Vedel, Camille (2018), « Le tourisme procréatif : vers une réforme contrainte de l’adoption en droit français ? », Les Cahiers de droit, vol. 59, nº4, p. 1033–1072. https://doi.org/10.7202/1055263ar


[1] Cette notice s’encadre dans le projet de recherche FFI2017-85141-P soutenu par FEDER / Ministerio de Ciencia, Innovación y Universidades / AEI.

[2] Reconduite par la loi du 6 août 2004 (Bosse-Platière, 2006, p. 89 ; Vedel, 2018, p. 1036).

[3] Moins couramment appelée maternité éducative (Thévoz, 1990, p. 160). C’est le cas lorsque la mère d’intention devient, par contrat, la mère légale de l’enfant dans les États qui autorisent la pratique sous toutes ses formes — la Russie, l’Ukraine, plusieurs États des États-Unis (la Californie ou la Floride, entre autres) — ou sous une forme altruiste — l’Inde, la Belgique, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, le Canada ou la Grèce—. Pour plus d’informations sur le statut juridique de la GPA dans le monde, voir Wikipédia, s.v. gestation pour autrui.

[4] Plus connue sous le nom de GPA commerciale —lorsque la mère porteuse reçoit une rémunération— et GPA altruiste —lorsqu’il y a absence de compensation financière— respectivement.

[5] Appellation proposée par la European Society of Human Reproduction and Embriology (ESHRE) (Álvarez Díaz, 2012, p. 43).

[6] Une rapide prise en charge des patients, un haut taux de réussite des traitements, des moyens technologiques avancés et des prix plus avantageux. On peut même affirmer que l’Espagne est le « leader européen en matière de techniques de reproduction assistée » (Gil Pérez et al., 2017, p. 5, traduction de l’auteure), et qu’il possède en plus une des législations les plus permissives. Plus précisément, en 2021, le gouvernement socialiste espagnol restaure la gratuité de la PMA pour les célibataires, les couples de femmes et les personnes transgenres, droit qui avait été abrogé par le gouvernement de droite en 2014.

[7] Encouragé par Internet et le flot d’information qui en découle (Bosse-Platière, 2006 ; López Guzmán & Aparisi Miralles, 2012 ; Paricard, 2015; Brunetti-Pons, 2016).

[8] Terme qui renvoie à l’incapacité de personnes seules et de couples de même sexe à avoir un enfant naturellement.


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Denomination, Dénomination, MAP, PMA, procreative tourism, reproductive tourism, terminologie, terminology, tourisme procréatif, tourisme reproductif